SÃPÂNTA
Aux confins nord de la Roumanie, dans la province des Maramures, le village de Săpânţa abrite un joyau d’art populaire : le "cimetière joyeux", dont le concept est né en 1929 de l’imagination d’un sculpteur local, Stan Ioan Patras.
Pour comprendre l’âme de ce cimetière particulier, il faut connaître l'histoire de Săpânta, ville frontalière avec l’Ukraine. Situé au nord ouest de la Roumanie, le Maramures, entre l’Ukraine et les Carpates est une région reculée et difficile d’accès. Elle est toujours restée à l’écart des grands bouleversements et dominations politiques ou culturelles depuis l’invasion romaine du 2ème siècle.
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De ce fait, les traditions sont restées très fortes. Fondées sur la filiation paternelle, les structures familiales se sont perpétuées aux cours des âges.
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En Maramures, symbole de solidité et d’éternité, le bois est omniprésent. La forêt a toujours été l’une des bases de l’activité économique. Les maisons, les portails, les clôtures, les croix des cimetières, le mobilier, les outils, les ustensiles de cuisine, tout était en bois. Les habitants savent le mettre en valeur en le sculptant. Ils multiplient les décors géométriques et floraux….
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Par ailleurs, le paysan roumain est connu pour n’avoir pas peur de la mort. D’ailleurs, en Maramures, la mort se doit d’être fêtée comme des noces. Pour montrer la dérision avec laquelle on juge la mort, on raconte l’histoire d’un homme qui, à soixante ans, estimant qu’il avait assez vécu, s’était fait lui-même sont propre cercueil qu’il avait déposé dans sa véranda. La mort ne venant pas et comme le cercueil l’encombrait, il le monta dans son grenier … Le cercueil y resta bien trente ans et servit à stocker les noix…
Au début du 20ème siècle, Stan Ion Patras a eu le "génie" de réunir ces trois données : la force des traditions, l’amour du travail du bois et cette conception particulière de la mort pour faire du "Cimetière Joyeux" une œuvre d’art unique.
A ses débuts, chaque année, il sculptait une dizaine de croix. Quand l’ensemble du travail de sculpture été terminé, la finition consistait à l’enduire de peinture bleue : le bleu Săpânta, symbolisant l’espoir et la liberté.
C’est vers 1935, que Stan Ion Patras commença à graver sur les stèles, comme épitaphe, de courts poèmes écrits à la première personne, comme si le narrateur était le mort... Poèmes naïfs, parfois ironiques où se mêlent archaïsme, expressions populaires et fautes d’orthographe… Il puise librement son inspiration lors des veillées funèbres où les membres de la famille ou une vieille voisine racontent la vie du défunt...
Puis il commença à peindre les motifs géométriques avec d’autres couleurs. En couleur de fond, le bleu Săpânta contraste alors avec le vert symbolisant la vie, le jaune la fécondité, le rouge la passion et le noir la mort. Entouré de cette frise, un bas-relief sculpté et peint représente le défunt dans son activité principale, ou la cause de son décès si la mort est due à un accident.
C’est la fresque sociale et culturelle de tout le village qui est ainsi dressée. Le cimetière est aujourd’hui la mémoire du lieu et du temps. Véritable hymne à la vie, cet ensemble polychrome nous plonge dans une certaine philosophie de l’existence que défend ce peuple rempli de sagesse et de foi.